mercredi 10 juin 2009

Critique "Orange Mécanique"


Orange Mécanique (A Clockwork Orange, USA, 1972).
Un film de Stanley Kubrick. Ecrit par Stanley Kubrick et Anthony Burgess, d'après son roman.
Avec : Malcolm McDowell (Alex DeLarge), Patrick Magee (Mr. Alexander), Michael Bates (Le chef de prison), Warren Clarke (Dim)...
Date de sortie (USA) : 2 février 1972.

Ou comment le courroux triomphe, ironiquement. Et inversement.

Du chef d’œuvre enragé, il reste, 20 après, les cendres.

Toute la folie que Kubrick a mise, furieusement, dans le film, s’est aujourd’hui quelque peu volatilisée, du moins ses résonnements, dans le monde contemporain. Toutes les surenchères font pâlir le film, du moins dans son impact traumatisant. Elles toutes ne suffiraient pas, cependant, à dégrader l’immense métaphore cathartique qu’est Orange Mécanique.

Car dans ce monde métaphorique, les voyous boivent du lait, et le jeune – et voyou – par excellence est Malcolm McDowell car Kubrick a su mettre en jeu le jeune acteur, l’immerger dans cette passion létale, celle de Beethoven, du sang et du sexe. Et si la cinquième symphonie lui devient insupportable c’est qu’en contrôlant ses pulsions, la société, ou plutôt ceux qui la compose – et la dirige – (car une société en elle-même n’est rien) ont détruit son désir. Ils le paieront d’ailleurs, en fin, en feront même un des leurs.

Kubrick invente en effet dans Orange Mécanique une société britannique parabolique, où les jeunes n’ont rien à faire, sont perdus et plutôt que de se chercher, s’annihilent en tentant d’entraîner le plus de personnes dans leur chute. Ils inventent un langage pot pourri teinté d’influences irlandaises et paysannes, un argot incompréhensible et par là même inquiétant. Ils boivent du lait dans un bar déviant, s’épanouissent dans le meurtre et jouissent des blessures de l’autre, tant que ce ne sont pas les leurs. Soumis aux lois humaines, il était inévitable que l’un d’eux paie, et ce sera donc leur chef.

Il est alors intégré aux rouages mêmes de cette société qu’il exècre car chacune de ses actions est un camouflé qui lui est destinée. Et l’huile du moteur l’ébouillantera car il se trompera de voie, persistant à consentir être cet autre lui-même qui se dessert. Et c’est là l’incroyable richesse de la métaphore qu’a construit le scénario de Kubrick, et entérinée par sa mise en scène : car Kubrick ne se trompe pas, il sait qu’il ne peut pas se le permettre, tant d’autres ont tenté de dénoncer les horreurs en finissant par épouvanter. Tout le contraire se produit alors dès que Alex accepte de suivre le traitement expérimental qui est censé le soigner de sa déviance.

Ce qui est montré à partir de la séquence où Alex quitte la prison officielle pour rejoindre l’hôpital où on le traitera est alors similaire à une torture. On le force à être aidé, on le soigne malgré lui, on le change à sa place. Dans l’inhibiteur à pulsion mis en place résultera une curieuse analogie entre cette partie de l’œuvre et la précédente, c'est-à-dire entre la scène de violence, horrible bien entendu, mais juvénile et la scène d’extinction produite par le gouvernement.

Car si la violence engendré par le gang est extrêmement destructrice, elle est également totalement aléatoire, presque accidentelle, irresponsable ; celle du gouvernement en revanche, représentée par le médecin supervisant le traitement, est raisonnée, implacable, définitive.

D’aucuns diraient qu’il s’agit ici d’une métaphore de la peine de mort, mais pire encore, il s’agit ici d’une irresponsabilité plus grande encore : celle d’infliger une torture perpétuelle à ceux qui ne savent pas qui ils sont. C’est ici de la cruauté des lois humaines qu’il s’agit, du droit que s’accordent quelques uns d’agir sur la vie de millions d’autres. C’est ici la réaction qui est dénoncée contrairement à l’action dépeinte comme folle et invraisemblable, fantasmagorique, étourdissante, perdue et perdante.

Quand Alex se retrouve, comme par hasard de nouveau, dans la maison de celui-là même à qui il a causé un tort inconcevable, il panique et redevient l’enfant déconstruit qu’il est au fond de lui, dépassé par ce qu’il a fait et dépassé par la monstruosité de ses actions. La réaction de l’homme en revanche, membre d’un parti politique de l’opposition, dépasse l’entendement, car c’est de manière froide et raisonnée qu’il va le pousser au suicide, faisant jouer encore et encore, de manière assourdissante, la musique qui aurait pu autrefois le sauver. Dans sa démonstration magistrale sur la lâcheté et la cruauté de ceux qui dirigent, Kubrick fait son film cathartique, transposant du papier à l’image toutes ces pulsions qui animent tout être humain, quel que soit le chemin choisit. Remettant en perspective, avec le recul, tout le cercle prétendument vertueux des années d’après-guerre, tout ce qui a été dénoncé mais qui a déjà été oublié…

Puis oublié d’avoir été oublié. Orange Mécanique également, car c’est quand il est contraint de réellement se voir, et non plus de se regarder, que l’humain chavire, emporté par ces vents qu’il a pourtant depuis toujours ignoré.

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