mardi 27 octobre 2009

Critique "Adoration"


Adoration (Canada, 2008).
Un film de Atom Egoyan. Ecrit par Atom Egoyan.
Directeur de la photographie : Paul Sarrosy.
Monteuse : Susan Shipton.
Ingénieur du son : Andy Malcolm.
Musique : Mychael Danna.
Avec : Scott Speedman (Tom), Rachel Blanchard (Rachel), Kenneth Welsh (Morris), Devon Bostick (Simon), Noam Jenkins (Sami)...

Plutôt que l’adoration c’est l’idolâtrie qui est ici inspectée par le cinéaste canadien. C’est celle d’un fils pour ses parents qu’il n’a pas vraiment connu (son père plus précisément, comme de convention), spolié d’exemples par un accident de voiture qui ne satisfait finalement pas sa recherche d’explications. A la recherche d’un pourquoi, le jeune adolescent décide de s’inventer un comment.

Réflexion poussée sur le pouvoir de l’histoire et donc de la fiction (peut-on élargir jusqu’au cinéma ?), le film d’Atom Egoyan est aussi un fourre-tout idéologique qui déstabilise en permanence son spectateur. Ce sont aussi les temps du film qui, peut-être inutilement compliqués, louvoient entre un passé fictionnel, un présent silencieux et un futur calculé. Il s’agit en fait de la recherche permanente d’une vérité qui n’existe finalement que dans l’opinion de chacun des nombreux personnages.

Adoration s’attaque de front à une question éthique qui n’est finalement pas au cœur du film : est-il justifiable de tuer pour la foi ? Les discussions sur internet provoquées par l’histoire de l’adolescent, finalement d’un égocentrisme terrifiant, ne sont au final que des débats vains même s’ils ont la fierté des perdants.

Le film est en plus nimbé par des accords de violons qui deviennent prépondérants et en arrivent à tirer eux-mêmes la fiction vers son point de résolution… qui n’en sera finalement pas un. L’exploration continuelle du passé à l’œuvre tout au long du film dérègle logiquement un rythme qui n’est jamais trouvé, faute d’ancrage dans le présent du récit.

Difficile donc d’analyser un film qui pourrait presque se résumer à l’histoire d’un mythomane, quel en est donc le but ? Toutefois il faut également prendre en compte l’impressionnante intelligence d’un scénario qui malgré quelques scories (le personnage ambivalent de Sabine, la radicalité et la monstruosité du grand-père) ne se perd jamais dans les nombreux replis qu’il sème. C’est presque une surprise quand le dernier quart d’heure, extrêmement resserré, résout les différentes trames en ne laissant finalement que peu de questions sans réponse, sauf une, majeure : en quoi le débat est-il avancé ? Le rassemblement des opinions, mêmes si plausibles, n’est que discours sur des évènements qui sont en effet terrifiants et incompréhensibles mais qui n’appartiennent qu’à ceux qui les produisent… et à ceux qui en sont les victimes.

Faute de trouver une explication (peut-être inexistante) à la création d’un terroriste (ou d’un martyr), c’est Simon, l’adolescent, qui envisage la meilleure raison possible (qui ne sera jamais définitive) : quelle que soit la foi ou la « cause » c’est une dominante bien humaine que la suppression de ceux qui menacent nos choix de vie, seuls les paramètres fluctuent.

samedi 24 octobre 2009

Critique "Là-haut"


Là-haut (Up, USA, 2009)
Un film de Pete Docter et Bob Peterson. Ecrit par Pete Docter, Thomas McCarthy et Bob Peterson.
Direction de la photographie : Jean-Claude Kalache et Patrick Lin.
Monteur : Kevin Nolting.
Ingénieur du son : Clint Smith.
Musique : Michael Giacchino.
Avec (voix) : Edward Asner (Carl Fredericksen), Christopher Plummer (Charles Muntz), Jordan Nagai (Russel)...

Un avenir de cinéma

Formidables prouesses techniques, les films du studio Pixar se démarquent également par l’humanisme dont fait preuve leurs scénarios, succédanés d’une vie rêvée, en images de synthèse mais aux émotions bien humaines. Il aurait été, par exemple, tellement facile de se laisser tenter par une course perpétuelle à la supériorité technique, où chaque film aurait été plus léché que le précédent.

Cependant Up annonce un choix radical d’éthique pour ces artistes. Au lieu de chercher à reproduire le mieux possible les caractéristiques de l’humain en 3 dimensions, Pete Docter et ses nombreux collaborateurs ont accepté que le film d’animation soit différent de la production cinématographique traditionnelle. En connaissance de cause, ils semblent déterminer à faire de ce support technologique l’instrument formel d’un imaginaire.

Dans le film la maison s’envole, attachée à d’innombrables et multicolores ballons d’hélium, laissant derrière elle toute une civilisation résumée aux immeubles et aux fast-foods. Carl Fredericksen, délicieux vieux monsieur qui vit dans le passé (résumé par une séquence d’ouverture superbement émouvante), renaît au monde grâce à une aventure hors du commun. L’imaginaire fourmillant aurait été imperméable s’il n’y avait le talent visuel et surtout la justification permanente de chacun des choix de mise en scène.

Ici les ellipses sont dynamitées par la possibilité de changement instantané de paysage, quand le personnage se retourne il se retrouve dans un lieu totalement différent, à un autre temps. Cette fulgurance rendue possible par l’animation sied l’extraordinaire aventure du film qui réinstaure continuellement les fondamentaux de la vie humaine sans jamais sombrer dans le conventionnel. Comment ne pas être subjugué par la prouesse cinématographique en action durant ces quatre-vingt dix minutes où l’on ne demande plus qu’à pleurer, rire et imaginer tous les possibles.

C’est en fait une utopie qui prend graduellement forme tant toute frontière est reléguée au-delà du cadre. La profondeur de champ perpétuelle est un horizon vers lequel le film maintient remarquablement le cap. Même la conclusion ne paraît pas mièvre car elle est attendue et acceptée sans aucun cynisme. L’ironie est que les voix de ces personnages imaginaires semblent plus humaines que celles de personnages issus de films réalistes. Le rêve est définitivement possible dans un univers où les couleurs chatoient les mille chemins.

vendredi 23 octobre 2009

Critique "Dernier maquis"


Dernier maquis (France, 2008).
Un film de Rabah Ameur-Zaïmeche. Ecrit par Rabah Ameur-Zaïmeche et Louise Thermes.
Directeur de la photographie : Irina Lubtschansky.
Ingénieur du son : Bruno Auzet.
Monteur : Nicolas Bancilhon.
Avec : Rabah Ameur-Zaïmeche (Mao le patron), Abel Jafri (un mécanicien), Christian Milia-Darmezin (Titi), Mamadou Kebe (le muezzin)...

Le film décide de se consacrer au particulier, celui d’une petite entreprise de confection de palettes à majorité musulmane. Le spectateur est amené à comprendre rapidement que les images ne suffisent pas au propos de ce « dernier maquis ». Entamé par une discussion au sujet de la religion, le film se laisserait contempler s’il ne se revendiquait politique, entre les tours de palettes écarlates, possible analogie des tours H.L.M. où le domaine de l’intime a été banni.

Pourtant Rabah Ameur-Zaïmeche évite très habilement le manichéisme en ignorant toute empathie, cela grâce au dispositif de réalisme documentaire qui est son choix de forme. Réinscrivant la tragédie grecque dans le terreau social français contemporain, les personnages sont des héros ordinaires qui manquent de mots pour revendiquer les émotions qui jaillissent du dialogue le plus ordinaire.

Le film s’ouvre sur la chute d’une tour de palettes, qui se dispersent comme des cartes, étages après étages. Les manœuvres réparent les dégâts et c’est alors qu’une sorte de miracle se produit : tout ce qui suit sera consacré à ceux qui ne sont que très rarement filmés, du moins sans être jugés. Conteur d’une ignorance ordinaire, Rabah Ameur-Zaïmeche filme à hauteur d’homme chacune de leurs différences, des prémisses à la tragédie finale, celle qui annonce en effet l’impossibilité du dialogue.

Chaque plan est à la fois métaphore de son image et de son idée, comme si deux trames se déroulaient synchroniquement, celle du visible et celle du convoqué. C’est ce poids supplémentaire qui interpelle efficacement le spectateur sur le drame qui se déroule et l’empêche de regarder l’œuvre de manière contemplative. Rabah Ameur-Zaïmeche choisit son camp et assume son propos de la première à la dernière image, terrible.

Le tour de force, finalement, c’est d’avoir filmé la lutte sociale de l’intérieur, en étant lui-même partie prenante des rouages. C’est ainsi qu’on peut parler de « sorte de miracle » : sa vision subjective des drames ordinaires a la puissance potentielle pour terrifier tous ceux qui se contentent en France d’exister.

dimanche 11 octobre 2009

Critique "Un prophète"


Un prophète (France, 2009).
Un film de Jacques Audiard. Ecrit par Jacques Audiard et Thomas Bidegain d'après un scénario original de Abdel Raouf Dafri et Nicolas Peufaillit.
Directeur de la photographie : Stéphane Fontaine.
Ingénieur du son : Brigitte Taillandier.
Montage : Juliette Welfling.
Avec : Tahar Rahim (Malik El Djebeni), Niels Arestrup (César Luciani), Adel Bencherif (Ryad), Hichem Yacoubi (Reyeb)...

De l’horizon

Comment a-t-il fait ? Comment un scénario de thriller à la trame extérieurement conventionnelle (l’ascension au pouvoir d’un personnage présenté comme innocent) a-t-il pu permettre de véhiculer une métaphore si puissante ?

Commençons par le début : la naissance. Structurant son récit en chapitres plutôt qu’en temps, Jacques Audiard s’affranchit pourtant du genre. A l’évidence il faut constater qu‘Un prophète est impitoyablement libre. La trajectoire du personnage principal, un détenu d’origine maghrébine analphabète, Malik El Djebena, et du film suivent la même course d’élan, avant le décollage.

Premièrement Un prophète désarçonne par l’omniprésence de Malik, par son point de vue exclusif sur les séquences, par sa naissance à l’écran. Jacques Audiard a créé un personnage inimaginable, d’une familiarité trompeuse, d’une justesse exceptionnelle. Chevillant sa mise en scène aux actions faites par (ou à) Malik, il affranchit pourtant un spectateur qui se croit enfermer dans les préjugés, dans la prison où Malik purge sa peine. De l’ascension sociale de ce dernier il y a beaucoup à dire mais tellement plus à voir... si ce n’est le départ et l’arrivée, inverses. Les mots manquent également pour dissocier la performance de Tahar Rahim (ainsi que celle de l’ensemble de la distribution du film) de l’évolution du personnage. Chaque séquence renforce leurs existences, jusqu’à les rendre infiniment plus grands que sur un écran de cinéma.

Dans sa forme, un prophète ressemble à s’y méprendre à De battre mon cœur s’est arrêté, son précédent film. Cette forme ne fait pas long feu car c’est ici ce qu’Audiard pense, montre et raconte qui compte, non seulement au-delà des œillères dont il rend chacun responsable, mais également de l’histoire elle-même, de son scénario de thriller. D’infimes, les pensées et rêves de Malik prennent vie, se réalisent dans un réel sordide, presque ridiculement contemporain : les « arabes », les « corses », le système pénitentiaire ; à l’origine la misère, l’ignorance, le trou.

Ensuite c’est la France que Jacques Audiard montre, décrit et dessine, sans jamais la nommer autrement qu’en paysage. Voilà donc la prouesse : en adhérant le spectateur aux balbutiements de Malik, le metteur en scène distille sa vision du monde, aussi radicale soit-elle, utilisant les codes et la force du cinéma de genre pour dépasser ce que tant d’autres ont poli : le miroir. C’est en contournant soigneusement toute insinuation de jugement qu’Un prophète est subversif : il fait voir ce qui ne se montre pas et déterre les fantasmes de puissance. Jacques Audiard dit finalement, superficiellement, une chose simple : quand ceux qui sont plongés (d’après le film, malgré eux) dans l’ignorance apprennent à penser, c’est le souffle de l’insurrection qui se lève. Responsabilisant un Etat de décennies de mépris, il fait le procès métaphorique d’un pays qui a cru annihiler un danger potentiel. En fait d’annihilation c’est plutôt un cache-misère qu’Audiard soulève et nombreux sont ceux qui haïront ce qu’ils verront : la naissance au monde d’un homme impitoyable, celui qui est libre, un prophète ?

Enfin, ou plutôt donc, Un prophète n’est ni un film de genre, sauf dans sa forme, ni un film humaniste, sauf dans son fond. Si les arguments prêtent à contradiction c’est que le film a atteint son but premier, peut-être même le rêve de son metteur en scène. Il fait penser par soi-même et surtout reconnaître ce que l’on est prêt à voir, ou ce que l’on se cachera, comme sous le manteau ou entre les paupières, ou d’un œil, borgne. La métaphore portée par le film, ou plutôt en transparence de ce dernier, est sûrement imperceptible aux parties prenantes de l’affaire. Ceux qui verront vraiment le film comprendront ce qu’ils voudront, subjectivement, c’est-à-dire comme sujets.

Un prophète est un film rare, en mettant de côté sa remarquable rigueur, car il met en porte-à-faux vainqueurs et vaincus, Je et Ils, Dieux et démons. Du désir impérieux qui l’a fait naître coule une source intarissable, celle du Je, celle de l’individu, en inversion par rapport à sa dissolution dans la société, dans la communauté, dans l’origine. Ainsi Un prophète dépasse la trajectoire d’un homme pour envisager celle d’une humanité qui s’ignore ou se hait, non pas globalement, mais séparément, chacun pour soi. Si la haine de l’autre découle de la haine de soi-même, Malik sourit à mesure qu’il s’élève et s’affranchit, jusqu’à sa liberté.

Finalement il est aussi libre à l’intérieur que dehors, difficile de croire que l’on parle encore de prison.