vendredi 27 novembre 2009

Critique "Ponette"


Ponette (France, 1996).
Un film de Jacques Doillon. Ecrit par Jacques Doillon.
Directeur de la photographie : Caroline Champetier.
Monteuse : Jacqueline Lecompte.
Ingénieur du son : Dominique Hennequin et Jean-Claude Laureux.
Musique : Philippe Sarde.
Avec : Victoire Thivisol (Ponette), Matiaz Bureau Caton (Matiaz), Delphine Schiltz (Delphine), Xavier Beauvois (le père), Marie Trintignant (la mère)...

Filmée à hauteur d’Homme

Ce qui touche et émeut dans le film de Jacques Doillon n’est pas le drame et le deuil qui s’ensuit, c’est sa sensibilité de cinéaste qui n’hésite jamais à prendre le temps des émotions, à filmer Ponette à sa hauteur, par ses yeux et dans toutes ses contradictions enfantines. Pourtant tout ici est presque éculé… si ce n’est le sujet. La mort de la mère de Ponette est un stigmate que celle-ci porte au bras : ce plâtre qui rappelle tout au long du film qu’il y a eu un terrible accident.

Le véritable, et formidable, travail effectué par Jacques Doillon se situe bien entendu dans sa direction de la (très) jeune Victoire Thivisol qui, en plus d’être d’une justesse remarquable, a un visage d’ange, véritable miroir face au spectateur qui atteint un degré d’empathie exceptionnel pour la jeune héroïne. Ce travail se situe aussi dans une véritable démonstration de la remise en question enfantine de tout, de toutes les contradictions et du pouvoir de son imagination, et du rêve. Ponette pleure souvent, à en fendre le cœur, entre un père en colère contre celle qui a disparu, une tante qui cherche à limiter sa foi par la croyance religieuse et son jeune cousin Mathias qui la défend et l’embrasse dès que le désespoir point.

La mise en scène est d’autant plus remarquable qu’elle repose sur deux éléments simples mais loin d’être faciles : une caméra haute comme trois pommes et des travellings perpétuels qui libèrent cette petite fille pour une fulgurance dans l’espace qui n’a d’égale que le tourbillon d’émotions ressenti par celle-ci au sein de chaque séquence. Difficile de la suivre d’ailleurs, tellement son cheminement intime est d’une beauté à couper le souffle, loin de tout chemin préalablement tracé. Ponette vit et agit selon des convictions qui n’appartiennent qu’à elle et qui sont inaliénables, des principes remarquables et époustouflants. Naît alors un respect pour ce petit bout de fille si brave qui résiste et révolutionne ce qu’en grandissant nous tenons pour acquis. Les questions incessantes qu’elle pose à tous ceux qui veulent bien l’écouter sont autant d’embranchements intimes que Jacques Doillon choisira comme plan final.

Une autre caractéristique remarquable du monde de Ponette, et de celui de tous ces enfants, est une propension à toucher autrui qui étonne et fait envie. La barrière physique n’existe plus : quand on n’aime pas on pousse, quand on aime on caresse. Ainsi cette sublime séquence entre Ponette et Mathias où celui-ci mime lui passer de la pommade sur son corps, sur sa poitrine, pour la « soigner », dit-il… et pourquoi pas ? La perception qu’a Ponette du monde qui l’entoure n’est pas définitive : elle est mouvante et altérée par son désir, immense, de revoir sa mère. Alors elle recherche les signes, parle à un Dieu qui ne lui répond pas, et finit dans l’oratoire de sa petite école à éclater en sanglot dans une lumière froide et dure, celle du doute. Ponette brûle pourtant du feu de la curiosité et ne s’arrête jamais aux explications qu’on lui donne ; elle se questionne à voix haute, fait parler sa poupée et écoute la montre de son père, « comme ça tu entendras les battements de mon cœur » lui promet-il.


Le plus dur c’est l’attente de Ponette : sa hâte à aller se coucher pour savoir si sa mère va venir la visiter dans ses rêves, et le retour à une réalité cruelle, où dans la cour de récré une petite brute lui dit que « c’est de sa faute à elle si sa maman est morte ». Brisée, Ponette va alors aller au cimetière pour pleurer sa mère et se retrouver seule avec sa foi inaltérable dans des réminiscences qui n’appartiennent finalement qu’à elle et que seul le temps pourrait lui voler.

dimanche 1 novembre 2009

Critique "La fièvre dans le sang"


La fièvre dans le sang (Splendor in the grass, USA, 1961).
Un film de Elia Kazan. Ecrit par William Inge.
Directeur de la photographie : Boris Kaufman.
Monteur : Gene Milford.
Ingénieur du son : Edward J. Johnston et Dick Vorisek.
Musique : David Amram.
Avec : Natalie Wood (Deanie), Warren Beatty (Bud), Barbara Loden (Ginny), Pat Hingle (Ace Stamper), Audrey Christie (Mrs Loomis)...

Il est de certaines œuvres qui brûlent les possibles et proposent, radicalement, la vie splendide et/ou misérable d’êtres plus qu’humains. Les personnages du film d’Elia Kazan sont de ceux-là. L’histoire de l’impossible rencontre de Bud et de Deanie se réalise dans un souffle qui n’a d’égal que celui de l’invention et de l’insurrection.

Une chronologie s’impose toutefois puisque « Splendor in the grass » (titre anglais détenteur de la métaphore du film) a été créé un an après A bout de souffle de Jean-Luc Godard. C’est un élément de mise en perspective important puisque le sujet du film tend vers la même représentation du Réel. Si chez Godard il s’agit d’une fuite vers l’avant, Elia Kazan est d’emblée beaucoup plus grave (mais plus définitif) puisqu’il choisit de recentrer historiquement son scénario. Celui-ci se déroule durant la Prohibition puis le gravissime krach boursier de 1929, conférant au film l’aura puissante du drame passé.

C’est en fait une idée de génie qu’a eu William Inge (le scénariste) puisqu’il contourne habilement le piège du contemporain et de l’éphémère. Il y a aussi ces deux acteurs qui ont été dirigés au-delà de la raison (Natalie Wood et Warren Beaty) au sein d’une rencontre amoureuse tragique et désespérante. Le pessimisme de Kazan est ici allié à la cruauté humaniste de la désillusion. Les affres du couple maudit deviennent, par extension, ceux d’une espèce humaine qu’il se permet de juger, voire de déclarer coupable.

La dimension politique du film est non négligeable puisque c’est le puritanisme de la société américaine qui est traité et même repensé de telle sorte que le cinéaste annonce finalement la dissolution de l’individu dans les contingences. Pourtant il ne s’agit pas seulement d’une lucidité exceptionnellement moderne mais aussi d’une connaissance profonde des Etats-Unis qui, finalement, se sont créés un passé fictif basé sur l’économie et ses possibles, faute d’une Histoire réelle existante.

L’œuvre est moderne car tournée vers un avenir encore dangereusement proche, qui est en fait l’extinction du monde des rêves et des fondations mêmes d’une constitution américaine qui inscrit la poursuite du bonheur dans son texte des lois. Comment comprendre alors les dernières phrases échangées par les deux êtres transis d’un amour interdits : « Je crois que je ne me pose même plus la question du bonheur » ?

Il existe aussi une ambivalence dans le choix du cinéaste : avoir dirigé sa femme (Barbara Loden) dans un rôle auto destructeur où l’amour n’est même plus envisagé, ni le désir d’ailleurs, puisque ce sont les plaisirs qui deviennent l’éthique d’une vie. C’est une analyse tragique et sublime des méfaits du capitalisme de masse puisque c’est finalement la consommation temporaire qui devient objet de substitution de désirs oubliés (consciemment d’après Elia Kazan).

Quant au spectateur, simple observateur de ces vies gâchées à l’écran, Elia Kazan ne lui pardonne rien car il le force à contempler, en miroir, ces émotions bien plus qu’humaines qui sont compromises par sa faute. Et devant la résolution terrible du film, le cinéaste américain ne peut que faire regretter ces rencontres rendues impossibles par la prévalence du Moi sur ce qu’il y a de plus humain dans l’éphémère : le présent.