samedi 27 juin 2009
Critique "La vie rêvée des anges"
mardi 23 juin 2009
Critique "Easy Rider"
lundi 15 juin 2009
Critique "Les affranchis"
Enième histoire de gangsters et de communauté italo-américaine pour Martin Scorsese. Nouvelle victoire dans son travail sur la mémoire commune de toute une génération d’immigrés américains, avec peut-être ses ancêtres en conscience personnelle (la propre mère de Scorsese joue le rôle de celle de Joe Pesci).
Ici, Scorsese réutilise un procédé familier comme moteur de l’histoire : une voix off, celle de Henry Hill, son ascension puis sa chute dans la famille des affranchis de la mafia italo-américaine de New-York. Utilisant la folie ordinaire du visage de Ray Liotta, il dépeint un duo de petites frappes (Henry – Ray Liotta et Tommy – Joe Pesci) qui, dans l’ombre de l’affranchi Jimmy (Robert de Niro, flamboyant comme à son habitude chez Scorsese) vont atteindre les cimes du grand banditisme en perpétrant l’un des plus gros casses de l’histoire américaine, celui de la compagnie aérienne Lufthansa.
Le point de vue de Scorsese sur ce monde violent se distingue quelque peu de celui du narrateur, utilisant la subjectivité de son personnage pour confirmer ou infirmer sa vision du monde. De toutes les situations, il tire le meilleur parti, celui d’une énonciation pure et simple des faits, à limite de l’explicatif (comme le plan-séquence dans le restaurant où Henry présente ses « collaborateurs »), ou au contraire celui d’une métaphorisation des scènes initiatiques (comme la première sortie de Henry et de sa compagne Karen – Lorraine Bracco dans le cabaret) à travers une caméra aérienne (de nombreux plans-séquences importants sont steady-camés).
On pourrait considérer cette mise en scène comme conventionnelle, sauf que Martin Scorsese (à l’aide de son directeur de la photographie Michael Ballhaus, responsable de la magnifique photo de Dracula de Francis Ford Coppola) fait participer le spectateur aux situations présentes à l’écran, le rend presque complice et témoin de tous les faits et gestes de ses malfrats sans les déchoir de leur statut héroïque. Ainsi l’on comprend presque l’adultère ordinaire des affranchis, la banalisation du meurtre (Tommy en étant le symbole, dans une violence presque obscène, à telle point que l’on se prend à redouter que chacun de ses interlocuteurs ne finissent « effacer »), les incendies et vols, et surtout les trahisons ; car dans ce monde souterrain, les traîtres ne vivent pas longtemps, même s’ils savent couvrir leurs traces.
C’est en leur accordant un statut extraordinaire que Martin Scorsese banalise ses personnages : de leur absence d’état d’âme naît sous nos yeux une nouvelle catégorie d’êtres humains, ceux qui sont capables de faire taire leur inconscience. Dans la vie flamboyante qu’ils mènent, surgissent des drames imprévus lors desquels Henry, Tommy, Jimmy, Karen, Frankie Carbone et les autres se retrouvent parfois face à eux-mêmes et doutent de leurs choix, mais jamais ne les renient.
Chez Scorsese c’est en effet l’absence de remords, cet état presque surhumain qui rend ses gangsters exceptionnels : ils font les choix les plus difficiles et les plus douteux auxquels nous pourrions être confrontés en l’espace de quelques instants. Et de cette instantanéité découle le statut de héros déchu que ses ancêtres gagnent : celui de main d’œuvre insurrectionnelle d’une Amérique qui les a oubliés. Martin Scorsese leur a rendu justice dans ce qui est l’un de ses plus grands films.
mercredi 10 juin 2009
Critique "Morse/Let the right one in"
Présenté comme un film de vampires, cette adaptation du best seller de John Lindqvist s’est immédiatement retrouvée cloisonnée sous cette étiquette de films de genre. Let the right one in a fait le tour des festivals de films fantastiques, récoltant les médailles mais pas la reconnaissance de son unicité. Tomas Alfredson s’est en effet ici débarrassé de tout le maniérisme et de toutes les contingences propres au genre : de par sa mise en scène tout d’abord et par son montage ensuite.
Critique "Rachel se marie"
Du film sociologique (bien pensant) hollywoodien, il ne reste, aux premiers abords, que peu de trace. Politique, Jonathan Demme l’a toujours été, du moins dans ses films, humaniste également. Ses deux films les plus vus, et cités, sont Philadelphia (1993) sur l’émergence du SIDA et la mise au ban de ses malades, et Le Silence des Agneaux (The silence of the lambs, 1990) qui a redéfini le film policier – et son sous-genre, le film de tueur en série – qui lui valut l’Oscar du Meilleur Réalisateur la même année.
De très démonstratifs qu’ils étaient, soumis aux poncifs du genre, ces deux films semblent loin, et même digérés, dès la première scène de Rachel se marie. On peut d’emblée constater que du documentaire, qu’il a pensé et pratiqué ces dernières années, l’approche lui est resté.
Le scénario de Jenny Lumet semble se dissoudre dans l’indéniable virtuosité technique du film. Caméra à l’épaule, à quelques coudées de son actrice principale, Anne Hathaway – Kym, son procédé de mise en scène explore au plus pré les blessures entrouvertes, les donne à voir plus qu’il ne les montre, ici en jeu dans le film et enjeu même de celui-ci.
Ancienne toxicomane, Kym réapparait brutalement dans une cellule familiale qui, on le comprend assez vite, a explosé suite à ses actes. Cependant, cette cellule est également à l’aube d’une réunion et même d’une expansion puisque Rachel – Rosemarie DeWitt – se marie. Tornade de franchise, en apparence, le personnage joué par Hathaway fait fi de toute prudence, balayant les conventions sociales du tabou universel, celui du secret, et par là même synthétisant l’un des objectifs du film : montrer une Amérique pluriculturelle, loin des schémas communautaires qui alimentent sa schizophrénie.
En effet, ce mariage est ethniquement mixte, déjouant dès lors tout un déjà-vu réducteur, premier piège, habilement esquivé par le scénario. Le futur mari, Sidney (Tunde Abedimpe), noir, est féru de musique, artiste et, semble-t-il, touché par la grâce. C’est ici la caractérisation qu’a fait Demme du personnage qui étonne, son apparence physique (de grosses lunettes et un déplacement parcimonieux) et surtout la finesse du jeu de l’acteur, et donc de son choix. Sidney et Rachel forment un couple rapidement dépeint comme étroitement lié par une tendresse et une reconnaissance évidente, le temps de quelques plans les réunissant.
On remarquera ici la performance qu’obtient le metteur en scène de la part de ses acteurs, tous au diapason réaliste et touchant de l’ensemble. C’est ici la double responsabilité de la photographie de Declan Quinn et du montage de Tim Squyres qui offre à la distribution le piédestal sur lequel elle s’empresse de grimper. De cette caméra à l’épaule approximative mais puissamment libératrice, le film gagne ses joyaux : l’empathie immédiate pour la totalité des personnages, pour la situation, et pour la rédemption que Kym recherche. C’est également le montage qui rythme le long-métrage de ses jump-cuts invisibles mais vrais, laissant à chaque séquence sa respiration, sans jamais ennuyer grâce à une impérieuse concentration sur l’essentiel.
Quant à la musique, c’est celle de Neil Young ou ses dérivés folks le temps d’un bœuf, sujet du documentaire de Demme (Neil Young : Heart of Gold), chantre canadien d’une Amérique renouvelée, un bûcheron-poète qui jamais ne se laisse enfermer, tout en énonçant d’une voix douce et tendre ses vérités.
Ainsi Rachel se marie frôle parfois le miracle lorsque de l’union des forces résulte des séquences vitales : le dîner en est un exemple frappant, les vœux aussi. On souhaiterait d’ailleurs parfois se projeter dans la proposition que fait Demme d’une communication ellipsée et symbolique.
Hélas, c’est le propre du cinéma d’intervenir à plusieurs niveaux, d’extraire puis d’imprimer sur pellicule ce qui est et non ce qui semble être. De ce point de vue, Rachel se marie impressionne.
Critique "Orange Mécanique"
Ou comment le courroux triomphe, ironiquement. Et inversement.
Du chef d’œuvre enragé, il reste, 20 après, les cendres.
Toute la folie que Kubrick a mise, furieusement, dans le film, s’est aujourd’hui quelque peu volatilisée, du moins ses résonnements, dans le monde contemporain. Toutes les surenchères font pâlir le film, du moins dans son impact traumatisant. Elles toutes ne suffiraient pas, cependant, à dégrader l’immense métaphore cathartique qu’est Orange Mécanique.
Car dans ce monde métaphorique, les voyous boivent du lait, et le jeune – et voyou – par excellence est Malcolm McDowell car Kubrick a su mettre en jeu le jeune acteur, l’immerger dans cette passion létale, celle de Beethoven, du sang et du sexe. Et si la cinquième symphonie lui devient insupportable c’est qu’en contrôlant ses pulsions, la société, ou plutôt ceux qui la compose – et la dirige – (car une société en elle-même n’est rien) ont détruit son désir. Ils le paieront d’ailleurs, en fin, en feront même un des leurs.
Kubrick invente en effet dans Orange Mécanique une société britannique parabolique, où les jeunes n’ont rien à faire, sont perdus et plutôt que de se chercher, s’annihilent en tentant d’entraîner le plus de personnes dans leur chute. Ils inventent un langage pot pourri teinté d’influences irlandaises et paysannes, un argot incompréhensible et par là même inquiétant. Ils boivent du lait dans un bar déviant, s’épanouissent dans le meurtre et jouissent des blessures de l’autre, tant que ce ne sont pas les leurs. Soumis aux lois humaines, il était inévitable que l’un d’eux paie, et ce sera donc leur chef.
Il est alors intégré aux rouages mêmes de cette société qu’il exècre car chacune de ses actions est un camouflé qui lui est destinée. Et l’huile du moteur l’ébouillantera car il se trompera de voie, persistant à consentir être cet autre lui-même qui se dessert. Et c’est là l’incroyable richesse de la métaphore qu’a construit le scénario de Kubrick, et entérinée par sa mise en scène : car Kubrick ne se trompe pas, il sait qu’il ne peut pas se le permettre, tant d’autres ont tenté de dénoncer les horreurs en finissant par épouvanter. Tout le contraire se produit alors dès que Alex accepte de suivre le traitement expérimental qui est censé le soigner de sa déviance.
Ce qui est montré à partir de la séquence où Alex quitte la prison officielle pour rejoindre l’hôpital où on le traitera est alors similaire à une torture. On le force à être aidé, on le soigne malgré lui, on le change à sa place. Dans l’inhibiteur à pulsion mis en place résultera une curieuse analogie entre cette partie de l’œuvre et la précédente, c'est-à-dire entre la scène de violence, horrible bien entendu, mais juvénile et la scène d’extinction produite par le gouvernement.
Car si la violence engendré par le gang est extrêmement destructrice, elle est également totalement aléatoire, presque accidentelle, irresponsable ; celle du gouvernement en revanche, représentée par le médecin supervisant le traitement, est raisonnée, implacable, définitive.
D’aucuns diraient qu’il s’agit ici d’une métaphore de la peine de mort, mais pire encore, il s’agit ici d’une irresponsabilité plus grande encore : celle d’infliger une torture perpétuelle à ceux qui ne savent pas qui ils sont. C’est ici de la cruauté des lois humaines qu’il s’agit, du droit que s’accordent quelques uns d’agir sur la vie de millions d’autres. C’est ici la réaction qui est dénoncée contrairement à l’action dépeinte comme folle et invraisemblable, fantasmagorique, étourdissante, perdue et perdante.
Quand Alex se retrouve, comme par hasard de nouveau, dans la maison de celui-là même à qui il a causé un tort inconcevable, il panique et redevient l’enfant déconstruit qu’il est au fond de lui, dépassé par ce qu’il a fait et dépassé par la monstruosité de ses actions. La réaction de l’homme en revanche, membre d’un parti politique de l’opposition, dépasse l’entendement, car c’est de manière froide et raisonnée qu’il va le pousser au suicide, faisant jouer encore et encore, de manière assourdissante, la musique qui aurait pu autrefois le sauver. Dans sa démonstration magistrale sur la lâcheté et la cruauté de ceux qui dirigent, Kubrick fait son film cathartique, transposant du papier à l’image toutes ces pulsions qui animent tout être humain, quel que soit le chemin choisit. Remettant en perspective, avec le recul, tout le cercle prétendument vertueux des années d’après-guerre, tout ce qui a été dénoncé mais qui a déjà été oublié…
Puis oublié d’avoir été oublié. Orange Mécanique également, car c’est quand il est contraint de réellement se voir, et non plus de se regarder, que l’humain chavire, emporté par ces vents qu’il a pourtant depuis toujours ignoré.