lundi 15 juin 2009

Critique "Les affranchis"


Les affranchis (Goodfellas, USA, 1990).
Un film de Martin Scorsese. Ecrit par Martin Scorsese et Nicholas Pileggi, d'après son roman Wise Guy.
Avec : Robert de Niro (Jimmy), Ray Liotta (Henry), Joe Pesci (Tommy), Lorraine Bracco (Karen)...
Date de sortie (USA) : 19 septembre 1990.

Enième histoire de gangsters et de communauté italo-américaine pour Martin Scorsese. Nouvelle victoire dans son travail sur la mémoire commune de toute une génération d’immigrés américains, avec peut-être ses ancêtres en conscience personnelle (la propre mère de Scorsese joue le rôle de celle de Joe Pesci).

Ici, Scorsese réutilise un procédé familier comme moteur de l’histoire : une voix off, celle de Henry Hill, son ascension puis sa chute dans la famille des affranchis de la mafia italo-américaine de New-York. Utilisant la folie ordinaire du visage de Ray Liotta, il dépeint un duo de petites frappes (Henry – Ray Liotta et Tommy – Joe Pesci) qui, dans l’ombre de l’affranchi Jimmy (Robert de Niro, flamboyant comme à son habitude chez Scorsese) vont atteindre les cimes du grand banditisme en perpétrant l’un des plus gros casses de l’histoire américaine, celui de la compagnie aérienne Lufthansa.

Le point de vue de Scorsese sur ce monde violent se distingue quelque peu de celui du narrateur, utilisant la subjectivité de son personnage pour confirmer ou infirmer sa vision du monde. De toutes les situations, il tire le meilleur parti, celui d’une énonciation pure et simple des faits, à limite de l’explicatif (comme le plan-séquence dans le restaurant où Henry présente ses « collaborateurs »), ou au contraire celui d’une métaphorisation des scènes initiatiques (comme la première sortie de Henry et de sa compagne Karen – Lorraine Bracco dans le cabaret) à travers une caméra aérienne (de nombreux plans-séquences importants sont steady-camés).

On pourrait considérer cette mise en scène comme conventionnelle, sauf que Martin Scorsese (à l’aide de son directeur de la photographie Michael Ballhaus, responsable de la magnifique photo de Dracula de Francis Ford Coppola) fait participer le spectateur aux situations présentes à l’écran, le rend presque complice et témoin de tous les faits et gestes de ses malfrats sans les déchoir de leur statut héroïque. Ainsi l’on comprend presque l’adultère ordinaire des affranchis, la banalisation du meurtre (Tommy en étant le symbole, dans une violence presque obscène, à telle point que l’on se prend à redouter que chacun de ses interlocuteurs ne finissent « effacer »), les incendies et vols, et surtout les trahisons ; car dans ce monde souterrain, les traîtres ne vivent pas longtemps, même s’ils savent couvrir leurs traces.

C’est en leur accordant un statut extraordinaire que Martin Scorsese banalise ses personnages : de leur absence d’état d’âme naît sous nos yeux une nouvelle catégorie d’êtres humains, ceux qui sont capables de faire taire leur inconscience. Dans la vie flamboyante qu’ils mènent, surgissent des drames imprévus lors desquels Henry, Tommy, Jimmy, Karen, Frankie Carbone et les autres se retrouvent parfois face à eux-mêmes et doutent de leurs choix, mais jamais ne les renient.

Chez Scorsese c’est en effet l’absence de remords, cet état presque surhumain qui rend ses gangsters exceptionnels : ils font les choix les plus difficiles et les plus douteux auxquels nous pourrions être confrontés en l’espace de quelques instants. Et de cette instantanéité découle le statut de héros déchu que ses ancêtres gagnent : celui de main d’œuvre insurrectionnelle d’une Amérique qui les a oubliés. Martin Scorsese leur a rendu justice dans ce qui est l’un de ses plus grands films.

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