mercredi 10 juin 2009

Critique "Morse/Let the right one in"


Let the right one in (Låt den rätte komma in, Suède, 2008).
Un film de Tomas Alfredson. Ecrit par John Lindqvist, d'après son roman.
Avec : Kare Hedebrant (Oskar), Lina Leandersson (Eli), Per Ragnar (Hakan)...


Présenté comme un film de vampires, cette adaptation du best seller de John Lindqvist s’est immédiatement retrouvée cloisonnée sous cette étiquette de films de genre. Let the right one in a fait le tour des festivals de films fantastiques, récoltant les médailles mais pas la reconnaissance de son unicité. Tomas Alfredson s’est en effet ici débarrassé de tout le maniérisme et de toutes les contingences propres au genre : de par sa mise en scène tout d’abord et par son montage ensuite.

Ici il s’agit de l’histoire d’Oskar, jeune garçon de douze ans, qui se rêve homme déjà, comme son père qui vit hors de la cellule familiale, mais Oskar est la tête de turc de trois garçons de sa classe et dans la réalité il est soumis et renfrogné. Il se veut libre du joug des autres mais ne peut s’en sortir seul, avec sa mère, dans leur appartement froid de la banlieue de Stockholm.
Oskar, le « petit cochon » (surnom attribué par ceux qui le harcèle), rencontre Eli dans la cour de sa cité, sous la neige, alors qu’il se rebelle contre un tronc d’arbre qu’il imagine ennemi. Eli le reconnaît, elle qui a douze ans depuis un moment déjà, mais qui sait quel fardeau Oskar porte. Elle le brusque d’abord, l’amadoue ensuite, puis se laisse aimer avant de l’aimer en retour. Dans le froid d’une Suède ténébreuse, l’histoire d’amour que vont vivre Eli et Oskar, Oskar et Eli, illumine les ombres.

Car c’est bien d’une histoire d’amour qu’il s’agit : un amour fondamental et proprement éthique puisqu’il naît entre un garçon qui a grandi plus vite que les autres, au fond, et une fille qui paraît jeune mais a vécu plus qu’on ne saurait l’imaginer : Eli est une vampire, son père tue pour lui ramener le sang nécessaire à sa survie, et pour qu’Eli puisse rentrer chez Oskar, il faut qu’il lui demande d’entrer. D’où le titre. D’où l’amour.
Oskar est tenté de la rejeter, plusieurs fois, par méfiance d’abord, par horreur ensuite. Quand le père d’Eli est arrêté (non sans avoir commis le sacrifice ultime pour sa fille), Eli doit se nourrir, et cela ne peut se faire sans violence car c’est une faim sans discernement, un désir inextinguible. Devant ce spectacle, Oskar prend peur, puis la rejette, se camouflant sous des apparences conventionnelles, jusqu’au moment où il prend acte de son environnement familial : il est aussi un paria après tout. D’ailleurs Eli répondra, quand Oskar lui demandera qui elle est vraiment, en miroir à sa situation à l’école : elle est honnie, lui aussi. La jeune actrice qui joue Eli (en partie grâce au maquillage savamment modifié en fonction des séquences) est ainsi formidable dans la retenue et la souffrance qu'elle porte comme condition, le jeune acteur qui personnalise Oskar jouit lui d'une empathie déraisonnable, même dans ces moments où il semble baisser les bras.

Alfredson commet alors une ellipse imparfaite mais exceptionnelle : il virtualise l’émotion, l’exagère pour, en fin, faire éclater sa vérité. C’est en effet le propre de sa mise en scène : utiliser les codes du fantastique (du folklore des Balkans en particulier) pour construire et donner vie à sa métaphore d’une manière plus éclatante encore que le film le plus réaliste aurait pu le faire, car c’est dans les ellipses entre ses séquences que s’imagine l’histoire d’amour qui émeut. Procédant d’un découpage étonnamment classique (les plans larges, extrêmement structurés, pour les actions et les situations, les gros plans pour les émotions, les panneaux et travelling pour les changements de sujet), le film construit son discours sur l’invisible : il laisse penser plus qu’il ne montre, sauf quand le metteur en scène l’estime nécessaire.
Voilà d’ailleurs une autre caractéristique rare : l’épuration des dialogues et des séquences – bien que le film ait gagné à réduire l’intrigue secondaire de quelques personnages – et leur poids final. Surtout la dernière. Car c’est dans la fin de sa troisième scène que le film se permet l’ostentatoire, et encore, en hors champ, prouvant définitivement que dans Let the right one in, la violence est parfois nécessaire mais reste toujours irreprésentable de près, obscène qu’elle est. Quant à l’ouverture que le film finit par proposer, elle est porteuse de tous les possibles.

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