dimanche 1 novembre 2009

Critique "La fièvre dans le sang"


La fièvre dans le sang (Splendor in the grass, USA, 1961).
Un film de Elia Kazan. Ecrit par William Inge.
Directeur de la photographie : Boris Kaufman.
Monteur : Gene Milford.
Ingénieur du son : Edward J. Johnston et Dick Vorisek.
Musique : David Amram.
Avec : Natalie Wood (Deanie), Warren Beatty (Bud), Barbara Loden (Ginny), Pat Hingle (Ace Stamper), Audrey Christie (Mrs Loomis)...

Il est de certaines œuvres qui brûlent les possibles et proposent, radicalement, la vie splendide et/ou misérable d’êtres plus qu’humains. Les personnages du film d’Elia Kazan sont de ceux-là. L’histoire de l’impossible rencontre de Bud et de Deanie se réalise dans un souffle qui n’a d’égal que celui de l’invention et de l’insurrection.

Une chronologie s’impose toutefois puisque « Splendor in the grass » (titre anglais détenteur de la métaphore du film) a été créé un an après A bout de souffle de Jean-Luc Godard. C’est un élément de mise en perspective important puisque le sujet du film tend vers la même représentation du Réel. Si chez Godard il s’agit d’une fuite vers l’avant, Elia Kazan est d’emblée beaucoup plus grave (mais plus définitif) puisqu’il choisit de recentrer historiquement son scénario. Celui-ci se déroule durant la Prohibition puis le gravissime krach boursier de 1929, conférant au film l’aura puissante du drame passé.

C’est en fait une idée de génie qu’a eu William Inge (le scénariste) puisqu’il contourne habilement le piège du contemporain et de l’éphémère. Il y a aussi ces deux acteurs qui ont été dirigés au-delà de la raison (Natalie Wood et Warren Beaty) au sein d’une rencontre amoureuse tragique et désespérante. Le pessimisme de Kazan est ici allié à la cruauté humaniste de la désillusion. Les affres du couple maudit deviennent, par extension, ceux d’une espèce humaine qu’il se permet de juger, voire de déclarer coupable.

La dimension politique du film est non négligeable puisque c’est le puritanisme de la société américaine qui est traité et même repensé de telle sorte que le cinéaste annonce finalement la dissolution de l’individu dans les contingences. Pourtant il ne s’agit pas seulement d’une lucidité exceptionnellement moderne mais aussi d’une connaissance profonde des Etats-Unis qui, finalement, se sont créés un passé fictif basé sur l’économie et ses possibles, faute d’une Histoire réelle existante.

L’œuvre est moderne car tournée vers un avenir encore dangereusement proche, qui est en fait l’extinction du monde des rêves et des fondations mêmes d’une constitution américaine qui inscrit la poursuite du bonheur dans son texte des lois. Comment comprendre alors les dernières phrases échangées par les deux êtres transis d’un amour interdits : « Je crois que je ne me pose même plus la question du bonheur » ?

Il existe aussi une ambivalence dans le choix du cinéaste : avoir dirigé sa femme (Barbara Loden) dans un rôle auto destructeur où l’amour n’est même plus envisagé, ni le désir d’ailleurs, puisque ce sont les plaisirs qui deviennent l’éthique d’une vie. C’est une analyse tragique et sublime des méfaits du capitalisme de masse puisque c’est finalement la consommation temporaire qui devient objet de substitution de désirs oubliés (consciemment d’après Elia Kazan).

Quant au spectateur, simple observateur de ces vies gâchées à l’écran, Elia Kazan ne lui pardonne rien car il le force à contempler, en miroir, ces émotions bien plus qu’humaines qui sont compromises par sa faute. Et devant la résolution terrible du film, le cinéaste américain ne peut que faire regretter ces rencontres rendues impossibles par la prévalence du Moi sur ce qu’il y a de plus humain dans l’éphémère : le présent.

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