mardi 27 septembre 2011

Migration

Le blog a désormais une relève : http://theolini.tumblr.com

Il y a là une condensation plus lisible de mes critiques.

Merci.

dimanche 5 septembre 2010

mercredi 16 juin 2010

Critique "Pierrot le fou"


Pierrot le fou (France, 1965).
Un film de Jean-Luc Godard.
Scénario de Jean-Luc Godard, d'après Le Démon de Onze Heures, de Lionel White.
Directeur de la photographie : Raoul Coutard.
Montage : Françoise Collin.
Son : Antoine Bonfanty et René Levert.
Musique : Antoine Duhamel.
Avec : Anna Karina (Marianne Renoir), Jean-Paul Belmondo (Ferdinand "Pierrot" Griffon), Graziella Galvani (la femme de Ferdinand)...

Pierrot, c’est comment l’éternité ?


Tout d’abord sachez que l’auteur de ces lignes considère Pierrot le fou comme un chef d’œuvre et ne saurait être objectif, pas le moins du monde. Ceci étant dit, certains éléments pourront peut-être esquisser un début d’analyse sur ce film-monde.

Après quelques minutes de film, à la réception chez Mr et Mme Expresso, Ferdinand/Pierrot (Jean-Paul Belmondo) pose une question à Samuel Fuller qui se trouve là car le hasard fait bien les choses : c’est quoi au juste le cinéma ? Question taraudante à laquelle le metteur en scène apporte une réponse dont nombre pourrait se satisfaire, l’émotion. Or c’est Rimbaud et le bleu azur que Jean-Luc Godard convoque, ainsi que l’amour, celui de son personnage pour Marianne, de Godard le cinéaste pour la déconstruction narrative et l’inédit visuel, et de Godard l’homme pour une actrice incomparable, Anna Karina.

Beaucoup plus tard dans le film c’est Raymond Devos qui propose, caustiquement, une parabole sur la rencontre, celle des mains qui s’effleurent, se touchent puis s’évitent, à un Ferdinand complètement désorienté.

C’est en fait ça qui fait le cinéma de Godard, sa singularité et sa proposition infiniment vaste d’un art où la création naît d’une transformation et non pas du néant. Dans un entretien radiophonique que Godard a fait avec Serge Daney dans les années 80 surgit une piste qui inverse en quelque sorte la lecture du film. Lors de ma première vision j’ai cru y déceler et y découvrir ce que j’ai longtemps cherché dans la vie : la ‘spontanéité pensée’, cette – en apparence – impossible conjonction de la raison et de la passion. Je crois maintenant que c’est dans son refus des contingences de toutes sortes, jusqu’à l’affaissement de la frontière entre intimité (privée) et cinéma (public), que la vive liberté de Pierrot le fou est faite de poésie, d’amour et de foi.


Sans s’épancher sur la maestria de la mise en scène, ou sur la mise en couleur explosive de cette échappée belle, qui mériteraient à elles seules plusieurs pages d’analyses approfondies, il y a quelques plans qui ne sauraient être tus tant leur justification est belle et leur application renversante. Ainsi l’appel à l’aide de Marianne à Ferdinand lorsque celui –ci, en amoureux absolu, court à sa rescousse en dératé sur la plage tandis que celle-ci l’observe du balcon de l’hôtel. La caméra dézoome en panoramique, d’abord gauche-droite avant que Ferdinand ne disparaisse derrière des arbres, puis s’élève en panoramique droite-gauche pour envelopper le paysage balnéaire avant de s’arrêter, avec la plus grande délicatesse, sur le profil de Marianne (Anna Karina) qui semble à la fois jauger la performance de son amoureux mais peut-être plutôt s’élancer dans le bleu du ciel. Ou encore cette première supercherie lorsque Fred, l’amant précédent, investit leur petit nid d’amour avant d’en être exclu à coup de bouteille de vin : là, la caméra virevolte dans un va-et-vient permanent et musical entre les pièces, le balcon immense, Ferdinand et Marianne qui s’entrecroisent dans un jeu si ludique qu’il ne peut être qu’amoureux.

Ce ne sont en aucun cas des performances techniques au sens privatif du terme. Raoul Coutard est un chef opérateur absolument remarquable, son équipe est aussi l’une des toutes meilleures, mais c’est en chef d’orchestre, ou plutôt en conducteur, que Godard met en scène l’addition d’opportunités, de savoir-faire et de talents innés là où une soustraction est toujours en ombre chinoise. Difficile de ne pas voir en Pierrot le fou l’exergue du cinéma de l’urgence, car l’on ne sait jamais quand on va être pris, comme les deux amants criminels du film. Et pourtant c’est dans la préparation permanente, celle qui naît de l’observation de chaque geste, de chaque regard, et dans l’intuition de les discerner, que se construit un tel cinéma, une telle proposition vitale et érotique… Dans cette dispute où Ferdinand reproche à Marianne d’avoir acheté un disque (« La musique passe après la littérature ») le gros plan sur Anna Karina ne peut naître d’une caméra indifférente, son regard vers le spectateur ne peut que naître d’un horizon plus concret, d’une émotion véritablement ressentie et d’une foi profonde (« L’amour est à réinventer »).

Et « Je est un autre » écrivait Arthur Rimbaud, et ‘je suis un autre’ affirme Pierrot le fou, manifeste de l’altérité, poème où les vers sont des plans, les rimes des coupes et les strophes des séquences qui chacune transforme la suivante, est transformée par la précédente. C’est d’ailleurs dans l’immortalité d’éléments naturels que se clôt le film, l’explosion (qui selon moi n’est en aucun cas une mort au sens premier du terme), la mer, le bleu azur, et les mots d’Anna Karina.

A un moment du film, Ferdinand conçoit leur couple comme la séparation humaine des sentiments et des idées. Il y a là une tragédie sans doute irrémédiable dans la vie réelle, seul un tel film peut les réconcilier, les rendre concrètes et vivantes, enflammer les braises qui sans un tel combustible ne pourraient brûler. Brûler pouvant aussi bien signifier consumer qu’enflammer, c’est là une distinction dans laquelle il appartient à chacun de se positionner, le choix proposé étant tout à la responsabilité du spectateur, parfois provoqué, parfois complice, toujours considéré.

Si filmer c’est un peu jouer à Dieu alors il est concevable que le monde réinventé dans le dynamitage par Jean-Luc Godard est l’un des plus passionnants imaginable.

mardi 26 janvier 2010

Critique "Lolita"


Lolita (Royaume-Uni, 1962).
Un film de Stanley Kubrick. Ecrit par Vladimir Nabokov, d'après son roman.
Directeur de la photographie : Oswald Morris.
Monteur : Anthony Harvey.
Ingénieur du son : HL Bird.
Musique : Nelson Riddle.
Avec : James Mason (Pr. Humbert Humbert), Shelley Winters (Charlotte Haze), Sue Lyon (Lolita)...

« Des douleurs et des roses »

Il est rare de commencer un récit par sa conclusion. Moins de nos jours, mais bien plus singulier pour une tragédie. C’est bien cette antique histoire des Hommes qui intéresse ici Vladimir Nabokov à l’écriture et Stanley Kubrick à la mise en scène. Pour préciser, il serait sans doute plus juste de parler d’histoire d’homme et de femme, car c’est plutôt de cela qu’il s’agit, de dualité.

Plus remarquable encore est la place de ce film dans l’œuvre incroyablement dense du metteur en scène britannique. Bien avant l’exagération stylistiquement moderne d’Orange Mécanique et avant la ruine amoureuse de Barry Lyndon, sans parler de l’avènement des fantasmes dans Eyes Wide Shut, l’essentiel de la vision de Stanley Kubrick est en quintessence dans Lolita. Toujours impressionnant dans sa projection de la beauté indiscutable à l’écran (ici Sue Lyon mais ailleurs Marisa Berenson ou Nicole Kidman) et surtout dans sa décadence proportionnelle, il est ici question d’un autre pouvoir, d’un autre désir.

Il est toujours incroyablement difficile de ne pas se laisser prendre au jeu. Celui de la mise en scène, celui de la superposition du rêve au Réel ou inversement du fantasme à la réalité. La puissance formelle du film est imparable et peut-être en arrive-t-elle-même à le desservir quelque part. Si Humbert tombe logiquement dans les filets de la jeune adolescente, actrice virtuose de la vie - comme souvent à cette âge, c’est surtout contempler sa longue déchéance dans la paranoïa puis dans l’auto-destruction qui est vraiment pénible. Et le spectateur de se poser la question : par quel moyen aurait-il pu y résister ? L’alliance de la beauté et de la manipulation virtuose qu’incarne Lolita est terrifiante car hypnotique. Le déroulement du film est ensuite une question de paramètres que le spectateur intègre comme le comment d’un pourquoi déjà résolu et expédié impeccablement dans la séquence d’ouverture.

Délivré du suspens, la cruauté de la tragédie est dans sa démonstration de la mécanique et dans ce qu’elle dévoile de liens humains soudainement dépourvus d’affects. Peut-on détourner les yeux devant ce qui avance inexorablement vers nous ? La fascination qui pare Lolita est alors explicitée par celui même qui en subira les affres : « La dualité de cette nymphette me rend fou. Tendresse enfantine d’une part… indicible vulgarité de l’autre. » Eh bien montrons l’indicible : des regards équivoques, des chaussures enlevées avec ce qu’il faut de suggestion, et surtout sous-entendre sans jamais prononcer directement.

Les dommages collatéraux sont alors effroyables et presque trop justifiées dans cette lente attraction entre le séduit et son sort, ou entre le papillon et la flamme. Machiavélique lui-même, Humbert manipule à son niveau une femme qui n’a plus rien à perdre tandis qu’il est lui-même manipulé par un auteur de génie et par la tendre et vulgaire Lolita. C’est ce qui place l’œuvre de Kubrick dans son ensemble, et Lolita en particulier, au-delà de nombreuses autres tentatives de description du monde. La projection cinématographique est chez lui tellement plus poussée que le manichéisme primaire qu’elle se suffit presque à elle-même. Chaque film, ou presque, raconte le monde tel qu’il le voit et non tel qu’il peut être, ce qui – par le paradoxe du cinéma – le rend infiniment plus vrai que la plupart des descriptions particulières auxquelles se cantonnent souvent les films.

Il n’est même pas utile de positionner l’œuvre de Kubrick contre une autre car elle est unique et suprême. Démiurge, il crée un monde où les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent mais ce qu’on croit qu’elles sont… puis le brise en morceaux. Chaque bris est plus vrai que le précédent, moins que le suivant. C’est la succession d’émotions et d’audace qui rend la cinématographie de Stanley Kubrick subversive et scandaleuse. Il ne provoque pas, il affirme. Et comme à sa juste considération : il fait de la musique classique le siège de l’émotion nette : l’émotion brute du récit transformée par les images et par les sons qu’il sait phénoménalement bien choisir.

lundi 18 janvier 2010

Critique "There will be blood"


There will be blood (USA, 2007).
Un film de Paul Thomas Anderson. Ecrit par Paul Thomas Anderson d'après Oil! d'Upton Sainclair.
Directeur de la photographie : Robert Elswit.
Monteur : Dylan Tichenor.
Ingénieur du son : Zach Martin.
Musique : Johnny Greenwood.
Avec : Daniel Day-Lewis (Daniel), Paul Dano (Eli et Paul), Ciaran Hinds (Fletcher), David Willis (Abel Sunday)...

« Je veux gagner assez d’argent pour me couper du monde »


There will be blood est un film monstrueux, difforme, sublime et repoussant. A l’image de Daniel Plainview (Daniel Day-Lewis) et de l’ouverture matricielle, sous-exposée, du film. Adapté de Oil! de Upton Sainclair, le film s’est étendu d’abord à la fondation historique et économique des Etats-Unis, puis en hyperbole explicite grâce au personnage principal – métaphore inévitable du même pays.

Premier acte : Paul Thomas Anderson se joue du spectateur en adoptant la reconstitution historique, parfaite en sus. Les violons dissonants de la partition (le seul adjectif adapté serait inconcevable) de Johnny Greenwood ouvrent puissamment le film sur un paysage rocailleux et ingrat surexposé du Midwest avant de s’intéresser de plus près à ce qui se trame sous le soleil de plomb, et sous sa terre aride.

Daniel cherche des pierres au fond d’un puits, qu’il semble avoir creusé lui-même, et au premier indice décide de faire sauter une paroi. Il montera suffisamment vite pour éviter le souffle, sa descente sera infiniment plus périlleuse, presque mortelle… ce n’est qu’un début. En 2h30, PT Anderson sera dans une telle économie de mise en scène qu’elle prendra paradoxalement une ampleur mythologique. Rugissant d’un bord à l’autre du cadre, Daniel Day-Lewis (curieux partage du prénom avec le personnage) sera comme un lion en cage, à l’ambition sans borne et au dessein machiavélique.

La « petite » histoire de Daniel ne laisse pas de place pour l’accident, encore une trajectoire que partage l’Histoire, a posteriori tous les évènements sont liés. Assimilant un siècle d’Histoire américaine, PT Anderson semble jouer avec le temps, confronter la religion et l’économie dès les prémisses d’une richesse abyssale, celle d’un or noir qu’il métaphorisera constamment en sang sacrificiel. A quelques plans du début, déjà, un père bénit son fils d’un doigt apposé sur le front, lui laissant une marque noire là où dans d’autres cultures elle est écarlate.

Le scénariste-metteur en scène prénommera ses deux jumeaux Paul et Eli, ce dernier fondant sur les terres nouvellement acquises par Daniel l’Eglise de la Troisième Révélation. Entre hypocrisie et trahison les émotions brutes sont vite étouffées par l’incroyable avidité de l’homme qui veut se débarrasser du monde. Cette confession malavisée sera l’aune d’appréciation du spectateur que PT Anderson n’épargnera guère, exigeant – avec justesse – une interprétation qui ne doit pas être manquée.

Faussement linéaire, son scénario se permettra quelques dates ici et là, peut-être un compromis dans une œuvre qui par ailleurs ne s’en autorisera aucun. Chaque plan est immédiatement justifié dans sa longueur, jamais expédié, le film imprégnant graduellement un rythme d’une cruauté qui refuse le mépris. Dans sa quête effrénée d’une autarcie vis-à-vis de l’humanité, Daniel se découvrira moins misanthrope que profondément psychopathe, il est le monstre qui enflera au fur et à mesure de sa réussite.

Ses confrontations face à un autre travesti, Eli, le faux prophète, seront celles qui détermineront le mieux le propos et la pensée de PT Anderson. Se libérant d’un carcan historique incommensurable, il insuffle à son film le pouvoir subversif et délétère d’une perversité mise à nue. Dans son entreprise il risque cependant de rendre imperméable de nombreuses clés de compréhension, inaccessibles au plus grand nombre tant sa mise en scène procède de l’épure la plus complexe. En simplifiant à l’excès les choses il les complique incroyablement car tous les indices sont éliminés car accessoires.

Il s’agit certainement de l’un des plus grands films américains de ces dix dernières années, sa construction est telle qu’elle en devient profondément vertigineuse. La lucidité avec laquelle PT Anderson traite Le sujet contemporain avec une forme tragiquement moderne en fait l’une des charges les plus virulentes, les plus justifiées et les plus intelligentes de son époque… encore faudrait-il la comprendre et comme dit Daniel « Pour moi, seules les apparences suffisent à comprendre les autres ».

vendredi 27 novembre 2009

Critique "Ponette"


Ponette (France, 1996).
Un film de Jacques Doillon. Ecrit par Jacques Doillon.
Directeur de la photographie : Caroline Champetier.
Monteuse : Jacqueline Lecompte.
Ingénieur du son : Dominique Hennequin et Jean-Claude Laureux.
Musique : Philippe Sarde.
Avec : Victoire Thivisol (Ponette), Matiaz Bureau Caton (Matiaz), Delphine Schiltz (Delphine), Xavier Beauvois (le père), Marie Trintignant (la mère)...

Filmée à hauteur d’Homme

Ce qui touche et émeut dans le film de Jacques Doillon n’est pas le drame et le deuil qui s’ensuit, c’est sa sensibilité de cinéaste qui n’hésite jamais à prendre le temps des émotions, à filmer Ponette à sa hauteur, par ses yeux et dans toutes ses contradictions enfantines. Pourtant tout ici est presque éculé… si ce n’est le sujet. La mort de la mère de Ponette est un stigmate que celle-ci porte au bras : ce plâtre qui rappelle tout au long du film qu’il y a eu un terrible accident.

Le véritable, et formidable, travail effectué par Jacques Doillon se situe bien entendu dans sa direction de la (très) jeune Victoire Thivisol qui, en plus d’être d’une justesse remarquable, a un visage d’ange, véritable miroir face au spectateur qui atteint un degré d’empathie exceptionnel pour la jeune héroïne. Ce travail se situe aussi dans une véritable démonstration de la remise en question enfantine de tout, de toutes les contradictions et du pouvoir de son imagination, et du rêve. Ponette pleure souvent, à en fendre le cœur, entre un père en colère contre celle qui a disparu, une tante qui cherche à limiter sa foi par la croyance religieuse et son jeune cousin Mathias qui la défend et l’embrasse dès que le désespoir point.

La mise en scène est d’autant plus remarquable qu’elle repose sur deux éléments simples mais loin d’être faciles : une caméra haute comme trois pommes et des travellings perpétuels qui libèrent cette petite fille pour une fulgurance dans l’espace qui n’a d’égale que le tourbillon d’émotions ressenti par celle-ci au sein de chaque séquence. Difficile de la suivre d’ailleurs, tellement son cheminement intime est d’une beauté à couper le souffle, loin de tout chemin préalablement tracé. Ponette vit et agit selon des convictions qui n’appartiennent qu’à elle et qui sont inaliénables, des principes remarquables et époustouflants. Naît alors un respect pour ce petit bout de fille si brave qui résiste et révolutionne ce qu’en grandissant nous tenons pour acquis. Les questions incessantes qu’elle pose à tous ceux qui veulent bien l’écouter sont autant d’embranchements intimes que Jacques Doillon choisira comme plan final.

Une autre caractéristique remarquable du monde de Ponette, et de celui de tous ces enfants, est une propension à toucher autrui qui étonne et fait envie. La barrière physique n’existe plus : quand on n’aime pas on pousse, quand on aime on caresse. Ainsi cette sublime séquence entre Ponette et Mathias où celui-ci mime lui passer de la pommade sur son corps, sur sa poitrine, pour la « soigner », dit-il… et pourquoi pas ? La perception qu’a Ponette du monde qui l’entoure n’est pas définitive : elle est mouvante et altérée par son désir, immense, de revoir sa mère. Alors elle recherche les signes, parle à un Dieu qui ne lui répond pas, et finit dans l’oratoire de sa petite école à éclater en sanglot dans une lumière froide et dure, celle du doute. Ponette brûle pourtant du feu de la curiosité et ne s’arrête jamais aux explications qu’on lui donne ; elle se questionne à voix haute, fait parler sa poupée et écoute la montre de son père, « comme ça tu entendras les battements de mon cœur » lui promet-il.


Le plus dur c’est l’attente de Ponette : sa hâte à aller se coucher pour savoir si sa mère va venir la visiter dans ses rêves, et le retour à une réalité cruelle, où dans la cour de récré une petite brute lui dit que « c’est de sa faute à elle si sa maman est morte ». Brisée, Ponette va alors aller au cimetière pour pleurer sa mère et se retrouver seule avec sa foi inaltérable dans des réminiscences qui n’appartiennent finalement qu’à elle et que seul le temps pourrait lui voler.

dimanche 1 novembre 2009

Critique "La fièvre dans le sang"


La fièvre dans le sang (Splendor in the grass, USA, 1961).
Un film de Elia Kazan. Ecrit par William Inge.
Directeur de la photographie : Boris Kaufman.
Monteur : Gene Milford.
Ingénieur du son : Edward J. Johnston et Dick Vorisek.
Musique : David Amram.
Avec : Natalie Wood (Deanie), Warren Beatty (Bud), Barbara Loden (Ginny), Pat Hingle (Ace Stamper), Audrey Christie (Mrs Loomis)...

Il est de certaines œuvres qui brûlent les possibles et proposent, radicalement, la vie splendide et/ou misérable d’êtres plus qu’humains. Les personnages du film d’Elia Kazan sont de ceux-là. L’histoire de l’impossible rencontre de Bud et de Deanie se réalise dans un souffle qui n’a d’égal que celui de l’invention et de l’insurrection.

Une chronologie s’impose toutefois puisque « Splendor in the grass » (titre anglais détenteur de la métaphore du film) a été créé un an après A bout de souffle de Jean-Luc Godard. C’est un élément de mise en perspective important puisque le sujet du film tend vers la même représentation du Réel. Si chez Godard il s’agit d’une fuite vers l’avant, Elia Kazan est d’emblée beaucoup plus grave (mais plus définitif) puisqu’il choisit de recentrer historiquement son scénario. Celui-ci se déroule durant la Prohibition puis le gravissime krach boursier de 1929, conférant au film l’aura puissante du drame passé.

C’est en fait une idée de génie qu’a eu William Inge (le scénariste) puisqu’il contourne habilement le piège du contemporain et de l’éphémère. Il y a aussi ces deux acteurs qui ont été dirigés au-delà de la raison (Natalie Wood et Warren Beaty) au sein d’une rencontre amoureuse tragique et désespérante. Le pessimisme de Kazan est ici allié à la cruauté humaniste de la désillusion. Les affres du couple maudit deviennent, par extension, ceux d’une espèce humaine qu’il se permet de juger, voire de déclarer coupable.

La dimension politique du film est non négligeable puisque c’est le puritanisme de la société américaine qui est traité et même repensé de telle sorte que le cinéaste annonce finalement la dissolution de l’individu dans les contingences. Pourtant il ne s’agit pas seulement d’une lucidité exceptionnellement moderne mais aussi d’une connaissance profonde des Etats-Unis qui, finalement, se sont créés un passé fictif basé sur l’économie et ses possibles, faute d’une Histoire réelle existante.

L’œuvre est moderne car tournée vers un avenir encore dangereusement proche, qui est en fait l’extinction du monde des rêves et des fondations mêmes d’une constitution américaine qui inscrit la poursuite du bonheur dans son texte des lois. Comment comprendre alors les dernières phrases échangées par les deux êtres transis d’un amour interdits : « Je crois que je ne me pose même plus la question du bonheur » ?

Il existe aussi une ambivalence dans le choix du cinéaste : avoir dirigé sa femme (Barbara Loden) dans un rôle auto destructeur où l’amour n’est même plus envisagé, ni le désir d’ailleurs, puisque ce sont les plaisirs qui deviennent l’éthique d’une vie. C’est une analyse tragique et sublime des méfaits du capitalisme de masse puisque c’est finalement la consommation temporaire qui devient objet de substitution de désirs oubliés (consciemment d’après Elia Kazan).

Quant au spectateur, simple observateur de ces vies gâchées à l’écran, Elia Kazan ne lui pardonne rien car il le force à contempler, en miroir, ces émotions bien plus qu’humaines qui sont compromises par sa faute. Et devant la résolution terrible du film, le cinéaste américain ne peut que faire regretter ces rencontres rendues impossibles par la prévalence du Moi sur ce qu’il y a de plus humain dans l’éphémère : le présent.

mardi 27 octobre 2009

Critique "Adoration"


Adoration (Canada, 2008).
Un film de Atom Egoyan. Ecrit par Atom Egoyan.
Directeur de la photographie : Paul Sarrosy.
Monteuse : Susan Shipton.
Ingénieur du son : Andy Malcolm.
Musique : Mychael Danna.
Avec : Scott Speedman (Tom), Rachel Blanchard (Rachel), Kenneth Welsh (Morris), Devon Bostick (Simon), Noam Jenkins (Sami)...

Plutôt que l’adoration c’est l’idolâtrie qui est ici inspectée par le cinéaste canadien. C’est celle d’un fils pour ses parents qu’il n’a pas vraiment connu (son père plus précisément, comme de convention), spolié d’exemples par un accident de voiture qui ne satisfait finalement pas sa recherche d’explications. A la recherche d’un pourquoi, le jeune adolescent décide de s’inventer un comment.

Réflexion poussée sur le pouvoir de l’histoire et donc de la fiction (peut-on élargir jusqu’au cinéma ?), le film d’Atom Egoyan est aussi un fourre-tout idéologique qui déstabilise en permanence son spectateur. Ce sont aussi les temps du film qui, peut-être inutilement compliqués, louvoient entre un passé fictionnel, un présent silencieux et un futur calculé. Il s’agit en fait de la recherche permanente d’une vérité qui n’existe finalement que dans l’opinion de chacun des nombreux personnages.

Adoration s’attaque de front à une question éthique qui n’est finalement pas au cœur du film : est-il justifiable de tuer pour la foi ? Les discussions sur internet provoquées par l’histoire de l’adolescent, finalement d’un égocentrisme terrifiant, ne sont au final que des débats vains même s’ils ont la fierté des perdants.

Le film est en plus nimbé par des accords de violons qui deviennent prépondérants et en arrivent à tirer eux-mêmes la fiction vers son point de résolution… qui n’en sera finalement pas un. L’exploration continuelle du passé à l’œuvre tout au long du film dérègle logiquement un rythme qui n’est jamais trouvé, faute d’ancrage dans le présent du récit.

Difficile donc d’analyser un film qui pourrait presque se résumer à l’histoire d’un mythomane, quel en est donc le but ? Toutefois il faut également prendre en compte l’impressionnante intelligence d’un scénario qui malgré quelques scories (le personnage ambivalent de Sabine, la radicalité et la monstruosité du grand-père) ne se perd jamais dans les nombreux replis qu’il sème. C’est presque une surprise quand le dernier quart d’heure, extrêmement resserré, résout les différentes trames en ne laissant finalement que peu de questions sans réponse, sauf une, majeure : en quoi le débat est-il avancé ? Le rassemblement des opinions, mêmes si plausibles, n’est que discours sur des évènements qui sont en effet terrifiants et incompréhensibles mais qui n’appartiennent qu’à ceux qui les produisent… et à ceux qui en sont les victimes.

Faute de trouver une explication (peut-être inexistante) à la création d’un terroriste (ou d’un martyr), c’est Simon, l’adolescent, qui envisage la meilleure raison possible (qui ne sera jamais définitive) : quelle que soit la foi ou la « cause » c’est une dominante bien humaine que la suppression de ceux qui menacent nos choix de vie, seuls les paramètres fluctuent.

samedi 24 octobre 2009

Critique "Là-haut"


Là-haut (Up, USA, 2009)
Un film de Pete Docter et Bob Peterson. Ecrit par Pete Docter, Thomas McCarthy et Bob Peterson.
Direction de la photographie : Jean-Claude Kalache et Patrick Lin.
Monteur : Kevin Nolting.
Ingénieur du son : Clint Smith.
Musique : Michael Giacchino.
Avec (voix) : Edward Asner (Carl Fredericksen), Christopher Plummer (Charles Muntz), Jordan Nagai (Russel)...

Un avenir de cinéma

Formidables prouesses techniques, les films du studio Pixar se démarquent également par l’humanisme dont fait preuve leurs scénarios, succédanés d’une vie rêvée, en images de synthèse mais aux émotions bien humaines. Il aurait été, par exemple, tellement facile de se laisser tenter par une course perpétuelle à la supériorité technique, où chaque film aurait été plus léché que le précédent.

Cependant Up annonce un choix radical d’éthique pour ces artistes. Au lieu de chercher à reproduire le mieux possible les caractéristiques de l’humain en 3 dimensions, Pete Docter et ses nombreux collaborateurs ont accepté que le film d’animation soit différent de la production cinématographique traditionnelle. En connaissance de cause, ils semblent déterminer à faire de ce support technologique l’instrument formel d’un imaginaire.

Dans le film la maison s’envole, attachée à d’innombrables et multicolores ballons d’hélium, laissant derrière elle toute une civilisation résumée aux immeubles et aux fast-foods. Carl Fredericksen, délicieux vieux monsieur qui vit dans le passé (résumé par une séquence d’ouverture superbement émouvante), renaît au monde grâce à une aventure hors du commun. L’imaginaire fourmillant aurait été imperméable s’il n’y avait le talent visuel et surtout la justification permanente de chacun des choix de mise en scène.

Ici les ellipses sont dynamitées par la possibilité de changement instantané de paysage, quand le personnage se retourne il se retrouve dans un lieu totalement différent, à un autre temps. Cette fulgurance rendue possible par l’animation sied l’extraordinaire aventure du film qui réinstaure continuellement les fondamentaux de la vie humaine sans jamais sombrer dans le conventionnel. Comment ne pas être subjugué par la prouesse cinématographique en action durant ces quatre-vingt dix minutes où l’on ne demande plus qu’à pleurer, rire et imaginer tous les possibles.

C’est en fait une utopie qui prend graduellement forme tant toute frontière est reléguée au-delà du cadre. La profondeur de champ perpétuelle est un horizon vers lequel le film maintient remarquablement le cap. Même la conclusion ne paraît pas mièvre car elle est attendue et acceptée sans aucun cynisme. L’ironie est que les voix de ces personnages imaginaires semblent plus humaines que celles de personnages issus de films réalistes. Le rêve est définitivement possible dans un univers où les couleurs chatoient les mille chemins.

vendredi 23 octobre 2009

Critique "Dernier maquis"


Dernier maquis (France, 2008).
Un film de Rabah Ameur-Zaïmeche. Ecrit par Rabah Ameur-Zaïmeche et Louise Thermes.
Directeur de la photographie : Irina Lubtschansky.
Ingénieur du son : Bruno Auzet.
Monteur : Nicolas Bancilhon.
Avec : Rabah Ameur-Zaïmeche (Mao le patron), Abel Jafri (un mécanicien), Christian Milia-Darmezin (Titi), Mamadou Kebe (le muezzin)...

Le film décide de se consacrer au particulier, celui d’une petite entreprise de confection de palettes à majorité musulmane. Le spectateur est amené à comprendre rapidement que les images ne suffisent pas au propos de ce « dernier maquis ». Entamé par une discussion au sujet de la religion, le film se laisserait contempler s’il ne se revendiquait politique, entre les tours de palettes écarlates, possible analogie des tours H.L.M. où le domaine de l’intime a été banni.

Pourtant Rabah Ameur-Zaïmeche évite très habilement le manichéisme en ignorant toute empathie, cela grâce au dispositif de réalisme documentaire qui est son choix de forme. Réinscrivant la tragédie grecque dans le terreau social français contemporain, les personnages sont des héros ordinaires qui manquent de mots pour revendiquer les émotions qui jaillissent du dialogue le plus ordinaire.

Le film s’ouvre sur la chute d’une tour de palettes, qui se dispersent comme des cartes, étages après étages. Les manœuvres réparent les dégâts et c’est alors qu’une sorte de miracle se produit : tout ce qui suit sera consacré à ceux qui ne sont que très rarement filmés, du moins sans être jugés. Conteur d’une ignorance ordinaire, Rabah Ameur-Zaïmeche filme à hauteur d’homme chacune de leurs différences, des prémisses à la tragédie finale, celle qui annonce en effet l’impossibilité du dialogue.

Chaque plan est à la fois métaphore de son image et de son idée, comme si deux trames se déroulaient synchroniquement, celle du visible et celle du convoqué. C’est ce poids supplémentaire qui interpelle efficacement le spectateur sur le drame qui se déroule et l’empêche de regarder l’œuvre de manière contemplative. Rabah Ameur-Zaïmeche choisit son camp et assume son propos de la première à la dernière image, terrible.

Le tour de force, finalement, c’est d’avoir filmé la lutte sociale de l’intérieur, en étant lui-même partie prenante des rouages. C’est ainsi qu’on peut parler de « sorte de miracle » : sa vision subjective des drames ordinaires a la puissance potentielle pour terrifier tous ceux qui se contentent en France d’exister.