lundi 18 janvier 2010

Critique "There will be blood"


There will be blood (USA, 2007).
Un film de Paul Thomas Anderson. Ecrit par Paul Thomas Anderson d'après Oil! d'Upton Sainclair.
Directeur de la photographie : Robert Elswit.
Monteur : Dylan Tichenor.
Ingénieur du son : Zach Martin.
Musique : Johnny Greenwood.
Avec : Daniel Day-Lewis (Daniel), Paul Dano (Eli et Paul), Ciaran Hinds (Fletcher), David Willis (Abel Sunday)...

« Je veux gagner assez d’argent pour me couper du monde »


There will be blood est un film monstrueux, difforme, sublime et repoussant. A l’image de Daniel Plainview (Daniel Day-Lewis) et de l’ouverture matricielle, sous-exposée, du film. Adapté de Oil! de Upton Sainclair, le film s’est étendu d’abord à la fondation historique et économique des Etats-Unis, puis en hyperbole explicite grâce au personnage principal – métaphore inévitable du même pays.

Premier acte : Paul Thomas Anderson se joue du spectateur en adoptant la reconstitution historique, parfaite en sus. Les violons dissonants de la partition (le seul adjectif adapté serait inconcevable) de Johnny Greenwood ouvrent puissamment le film sur un paysage rocailleux et ingrat surexposé du Midwest avant de s’intéresser de plus près à ce qui se trame sous le soleil de plomb, et sous sa terre aride.

Daniel cherche des pierres au fond d’un puits, qu’il semble avoir creusé lui-même, et au premier indice décide de faire sauter une paroi. Il montera suffisamment vite pour éviter le souffle, sa descente sera infiniment plus périlleuse, presque mortelle… ce n’est qu’un début. En 2h30, PT Anderson sera dans une telle économie de mise en scène qu’elle prendra paradoxalement une ampleur mythologique. Rugissant d’un bord à l’autre du cadre, Daniel Day-Lewis (curieux partage du prénom avec le personnage) sera comme un lion en cage, à l’ambition sans borne et au dessein machiavélique.

La « petite » histoire de Daniel ne laisse pas de place pour l’accident, encore une trajectoire que partage l’Histoire, a posteriori tous les évènements sont liés. Assimilant un siècle d’Histoire américaine, PT Anderson semble jouer avec le temps, confronter la religion et l’économie dès les prémisses d’une richesse abyssale, celle d’un or noir qu’il métaphorisera constamment en sang sacrificiel. A quelques plans du début, déjà, un père bénit son fils d’un doigt apposé sur le front, lui laissant une marque noire là où dans d’autres cultures elle est écarlate.

Le scénariste-metteur en scène prénommera ses deux jumeaux Paul et Eli, ce dernier fondant sur les terres nouvellement acquises par Daniel l’Eglise de la Troisième Révélation. Entre hypocrisie et trahison les émotions brutes sont vite étouffées par l’incroyable avidité de l’homme qui veut se débarrasser du monde. Cette confession malavisée sera l’aune d’appréciation du spectateur que PT Anderson n’épargnera guère, exigeant – avec justesse – une interprétation qui ne doit pas être manquée.

Faussement linéaire, son scénario se permettra quelques dates ici et là, peut-être un compromis dans une œuvre qui par ailleurs ne s’en autorisera aucun. Chaque plan est immédiatement justifié dans sa longueur, jamais expédié, le film imprégnant graduellement un rythme d’une cruauté qui refuse le mépris. Dans sa quête effrénée d’une autarcie vis-à-vis de l’humanité, Daniel se découvrira moins misanthrope que profondément psychopathe, il est le monstre qui enflera au fur et à mesure de sa réussite.

Ses confrontations face à un autre travesti, Eli, le faux prophète, seront celles qui détermineront le mieux le propos et la pensée de PT Anderson. Se libérant d’un carcan historique incommensurable, il insuffle à son film le pouvoir subversif et délétère d’une perversité mise à nue. Dans son entreprise il risque cependant de rendre imperméable de nombreuses clés de compréhension, inaccessibles au plus grand nombre tant sa mise en scène procède de l’épure la plus complexe. En simplifiant à l’excès les choses il les complique incroyablement car tous les indices sont éliminés car accessoires.

Il s’agit certainement de l’un des plus grands films américains de ces dix dernières années, sa construction est telle qu’elle en devient profondément vertigineuse. La lucidité avec laquelle PT Anderson traite Le sujet contemporain avec une forme tragiquement moderne en fait l’une des charges les plus virulentes, les plus justifiées et les plus intelligentes de son époque… encore faudrait-il la comprendre et comme dit Daniel « Pour moi, seules les apparences suffisent à comprendre les autres ».

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