
Tout commence comme une histoire maintes fois contée : celle du Bien et du Mal, des lâches et des courageux, rarement ceux que l’on croit. Dans ce nihilisme d’apparence, James Mangold insuffle quelque chose d’exceptionnel dans le cinéma américain, la victoire en définitive d’une bataille, celle du bête sur l’intelligent, celle de l’utopique sur le machiavélique.
Ici ce sont les policiers corrompus de New York qui ont créé leur ville idéale : celle où il n’y a aucun autre crime que le dépôt illicite de poubelles et qui est aussi celle où tout le monde surveille tout le monde, surtout Ray.
De fait, James Mangold déjoue toutes les attentes qu’un spectateur, au fait des schémas conventionnels en cours dans le film policier américain depuis les années 70, aurait. Sylvester Stallone, bedonnant, est utilisé dans un contre emploi remarquable, celui de l’idiot du village à qui l’on a bien voulu donner un poste honorifique, pour lui faire oublier qu’il aurait pu, dû, ne pas être marginalisé. Idiot, il l’est, mais pas tant qu’on le croit, il a bien voulu fermer l’œil et la bouche mais n’en pense pas moins ; toujours se méfier de l’eau qui dort, dit l’adage, car le shérif d’Harrington compte bien faire régner une loi indifférente au costume que porte l’Homme.
C’est grâce à une mise en scène inspirée des grands polars des années 70 que James Mangold dose ses déviations et, au final, le grand bouquet. Ray (Harvey Keitel) a toutes les relations qu’il faut pour tenir sous sa coupe tous ceux qui auraient des velléités rebelles mais, bien entendu, ne saurait voir l’angle mort qu’incarne le shérif Freddy Henlin (Sylvester Stallone). Celui-ci sait et voit tout puisque la plupart des transactions se font sous ses yeux. Deux poids deux mesures pour les représentants d’une loi qu’eux-mêmes ne considèrent pas et ce n’est pas tant le degré de corruption qui choque mais l’immense effort à déployer pour le révéler au grand jour.
Sous l’impulsion de Moe (Robert de Niro, éclipsé) de la police des polices, Freddy tient enfin sa chance d’être ce qu’on lui a refusé : un policier, intègre de surcroît. D’hésitations en fausses routes, il rate le premier embranchement mais ne saurait se répéter dans l’erreur. Fine et mélancolique, l’interprétation livrée par Sylvester Stallone est sûrement la meilleure de l’acteur tant il fusionne avec un personnage qui, peut-être, en dit long sur lui-même. Cantonné à des rôles de machines de guerre patriotiques, l’interprète de Rocky a été avare de son talent car, dirigé par Mangold, il nuance admirablement les dilemmes qui sont souvent mis sous silence dans le film de genre.
La grande réussite du film, et donc de Mangold qui en est l’auteur, est bien d’appuyer l’importance extrême des choix, ou de leurs refus. C’est le choix radical de son personnage principal qui propulsera le film dans une enquête juste sur des vérités nues et offrira au spectateur la fusillade la plus inouïe à laquelle il aura pu assister, celle d’un sourd qui, aveuglé, refuse de se taire.