jeudi 9 juillet 2009

Critique "Copland"


Copland (Cop Land, USA, 1997).
Un film de James Mangold. Ecrit par James Mangold.
Avec : Sylvester Stallone (Sheriff Freddy Heflin), Harvey Keitel (Ray Donlan), Ray Liotta (Figgsy), Robert de Niro (Moe Tilden)...

Tout commence comme une histoire maintes fois contée : celle du Bien et du Mal, des lâches et des courageux, rarement ceux que l’on croit. Dans ce nihilisme d’apparence, James Mangold insuffle quelque chose d’exceptionnel dans le cinéma américain, la victoire en définitive d’une bataille, celle du bête sur l’intelligent, celle de l’utopique sur le machiavélique.

Ici ce sont les policiers corrompus de New York qui ont créé leur ville idéale : celle où il n’y a aucun autre crime que le dépôt illicite de poubelles et qui est aussi celle où tout le monde surveille tout le monde, surtout Ray.

De fait, James Mangold déjoue toutes les attentes qu’un spectateur, au fait des schémas conventionnels en cours dans le film policier américain depuis les années 70, aurait. Sylvester Stallone, bedonnant, est utilisé dans un contre emploi remarquable, celui de l’idiot du village à qui l’on a bien voulu donner un poste honorifique, pour lui faire oublier qu’il aurait pu, dû, ne pas être marginalisé. Idiot, il l’est, mais pas tant qu’on le croit, il a bien voulu fermer l’œil et la bouche mais n’en pense pas moins ; toujours se méfier de l’eau qui dort, dit l’adage, car le shérif d’Harrington compte bien faire régner une loi indifférente au costume que porte l’Homme.

C’est grâce à une mise en scène inspirée des grands polars des années 70 que James Mangold dose ses déviations et, au final, le grand bouquet. Ray (Harvey Keitel) a toutes les relations qu’il faut pour tenir sous sa coupe tous ceux qui auraient des velléités rebelles mais, bien entendu, ne saurait voir l’angle mort qu’incarne le shérif Freddy Henlin (Sylvester Stallone). Celui-ci sait et voit tout puisque la plupart des transactions se font sous ses yeux. Deux poids deux mesures pour les représentants d’une loi qu’eux-mêmes ne considèrent pas et ce n’est pas tant le degré de corruption qui choque mais l’immense effort à déployer pour le révéler au grand jour.

Sous l’impulsion de Moe (Robert de Niro, éclipsé) de la police des polices, Freddy tient enfin sa chance d’être ce qu’on lui a refusé : un policier, intègre de surcroît. D’hésitations en fausses routes, il rate le premier embranchement mais ne saurait se répéter dans l’erreur. Fine et mélancolique, l’interprétation livrée par Sylvester Stallone est sûrement la meilleure de l’acteur tant il fusionne avec un personnage qui, peut-être, en dit long sur lui-même. Cantonné à des rôles de machines de guerre patriotiques, l’interprète de Rocky a été avare de son talent car, dirigé par Mangold, il nuance admirablement les dilemmes qui sont souvent mis sous silence dans le film de genre.

La grande réussite du film, et donc de Mangold qui en est l’auteur, est bien d’appuyer l’importance extrême des choix, ou de leurs refus. C’est le choix radical de son personnage principal qui propulsera le film dans une enquête juste sur des vérités nues et offrira au spectateur la fusillade la plus inouïe à laquelle il aura pu assister, celle d’un sourd qui, aveuglé, refuse de se taire.

samedi 4 juillet 2009

Critique "Arizona Dream"


Arizona Dream (The Arrowtooth Walz, USA, 1993).
Un film de Emir Kusturica. Ecrit par David Atkins et Emir Kusturica.
Avec : Johnny Depp (Axel), Faye Dunaway (Elaine), Vincent Gallo (Paul), Jerry Lewis (Leo), Lili Taylor (Grace)...

Le premier film en langue anglaise de Emir Kusturica n’est pas un premier film tout court comme l’on pourrait d’abord le croire. En effet, une lecture aux premiers et seconds degrés du film met en exergue, dans un premier temps, tout l’univers cinématographique américain dont Kusturica semble raffoler : cités pêle-mêle avec plus ou moins d’à-propos, on retrouve directement l’univers de Martin Scorsese (ici c’est Vincent Gallo – Paul Leger qui l’incarne) avec Raging Bull, projeté dans une salle de cinéma, Francis Ford Coppola (Le parrain) et Michael Cimino (Voyage au bout de l’enfer).

Dans ses citations habiles, Kusturica accumule les trouvailles de découpage et de mise en scène pour les transformer en clins d’œil, à la limite de l’hommage, ainsi la mouche qui vient imiter le grain de beauté de Robert de Niro. Sur le fil entre mimésis et plagiat, Kusturica va jusqu’à engager les gloires passées du cinéma américain Faye Dunaway et Jerry Lewis.

Cependant, ce premier niveau de lecture est largement insuffisant tant Emir Kusturica convoque un amour des acteurs immodéré avec une stylisation à l’extrême de métaphores plates. Johnny Depp – Axel n’a plus de parents et considère Jerry Lewis – Leo comme son père et son mentor. Attiré par New York, gravitant entre la haine et ce qu’il appelle l’amour, Axel croit aimer Elaine (Faye Dunaway) alors qu’en fait il inverse tous les rôles. Confondant rêves et cauchemars, espoirs et impasses, le film entremêle des performances d’acteurs que l’on ne peut, malheureusement, considérer cathartiques tant elles semblent vaines, dans un charivari caustique et mimétique où l’Arizona est une Yougoslavie de substitution, les rêves sont des réalités et inversement.

Pourtant, le talent de Kusturica ne peut être remis en cause tant certaines séquences sont savoureuses (les multiples tentatives de construction de l’avion, le premier dîner) mais ne pèsent pas lourds au regard des cauchemars éveillés qui émaillent et sabordent le film. D’ouvert en début, le film peu à peu s’enferme dans une succession de saynètes qui, telles des fuites dans le moteur, finissent par échouer l’œuvre sur un banc de sable. De plus, les parallèles tracés par Kusturica entre le ballon/les esquimaux et Axel/la vie dans la maison sont contraires à ce que la voix off assène régulièrement tout au long du film.

Dans le rêve-film qu’est l’œuvre de Kusturica, c’est une abstraction qui se cache, et pire, une incompréhension fondamentale de ce que le cinéma dit, même celui qu’il cite : les caractères plus grands que nature, les grands acteurs et les metteurs en scène mythiques ne savent pas le fin mot de leur Histoire, Kusturica fait comme s’il la connaissait déjà. Même si sa proposition n’est pas convenue, elle est altérée, évanescente, non pas invisible mais dissimulée à elle-même.

Que dire du personnage de Leo puisque le film est dédié au père de l’auteur ? La nostalgie qui se lit dans le traitement fait par Jerry Lewis de son personnage dit plus sur l’auteur lui-même que les lignes de description sans doute présentes dans le scénario original : en fait d’absurde et rêvé, c’est un néant devant lequel Kusturica tend un tableau chatoyant et changeant. Un cache misère en reste un, la lâcheté en plus.

Ce qu’il faut reconnaître c’est ce qu’obtient le réalisateur bosniaque de ses acteurs, les mythes comme les révélations, Johnny Depp comme Faye Dunaway, et même s’ils tournent en rond ils déploient une énergie et une puissance d’incarnation qui sauve la partie émergée d’un iceberg qui fond comme neige au soleil à mesure que les plans s’égrènent.